Medem

” Sous l’impulsion d’une masse critique de leaders éthiques et de l’attente des citoyen,

les institutions publiques et privées clés de gouvernance sont à l’horizon 2030 positivement transformées

au service de l’intérêt général “.

LA FISCALITÉ LOCALE ET LE CIVISME FISCAL AU PRISME DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES INTERNATIONALES

Savez-vous que les allemands membres de l’église protestante et de l’église catholique doivent payer un impôt religieux appelé kirchensteuer (Matthieu, 2013), qu’une taxe sur les chapeaux était en vigueur en Angleterre de 1784 à 1811 ou encore qu’une taxe sur les pianos existait en France à la fin du XIXème siècle (Broulis, 2011)? Un peu plus près de nous dans le temps mais plus loin par la distance: en France, les « gilets jaunes » ont dénoncé depuis le mois de novembre 2018 la hausse des taxes sur le carburant à cause, selon leur dire, du manque de redistribution. En d’autres mots, les impôts et cotisations des uns ne sont pas assez reversés aux autres sous forme d’aides sociales. Quant à Madagascar, la taxe sur la protection civile, plus communément connue comme la taxe sur les chiens ou animaux domestiques dangereux, a provoqué un tollé en 2017. Malgré la réticence du commun des mortels à payer les impôts, la perte de confiance de certains citoyens envers les institutions politiques et la crise du sens même de l’action publique, la fiscalité reste le symbole par excellence de la souveraineté de l’Etat. Les pouvoirs publics décident donc librement du choix de la matière imposable.

Le présent article voudrait apporter une modeste contribution à l’avancée des connaissances sur la fiscalité locale et le civisme fiscal en passant en revue une partie de ce qui a été écrit, fait sur le sujetpar le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Loin de nous l’idée de prendre pour argent comptant les publications et les actions de cesinstitutions internationales mais il serait quand même intéressant pour Madagascar de s’en inspirer en vue d’améliorer sa politique fiscale. Après tout, douter de tout pour mieux construire est le bon sens même pour les chercheurs. Faut-il rappeler aussi que les européens ont cru que tous les cygnes étaient blancs jusqu’à la découverte des cygnes noires en Australie?Synthétiser ce qui a été dit et faiten la matière nous parait d’autant plus crucial que 20% des 2000 Malgaches enquêtés par la Direction Générale des Impôts du Ministère des Finances et du Budget ne savaient même pas ce qu’est l’impôt (Kwan, 2017).

Quelles sont les publications et les actions de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire Internationale en matière de fiscalité locale et de civisme fiscal ? Telle est la question! Pour répondre à celle-ci, nous approfondirons, dans un premier temps, la notion de fiscalité locale en considérant les aspects suivants: qu’est-ce qu’un « bon » impôt local ? Quelles sont les recettes fiscales locales ? Peut-on bien répartir les impôts entre les autorités nationales et infranationales ? A quels défis font face les autorités infranationales dans la gestion des recettes locales ? Dans un second temps, notre regard se portera sur le civisme fiscal en tant que problème, qu’objet d’une expérience et en tant que domaine d’analyse du « Tax Administration Diagnostic Assessment Tool » (TADAT).

  1. FISCALITE LOCALE

De prime abord, il faut distinguer les impôts nationaux des impôts locaux. Les premiers sont perçus au profit de l’Etat. Les seconds sont, quant à eux, prélevés au profit de structures infra-étatiques (telles que les collectivités territoriales ou les Etats fédérés) et sont collectés soit par l’administration locale, soit par l’administration centrale. Dans le cas d’une collecte par l’administration centrale, ils sont rétrocédés aux structures infra-étatiques, du moins en principe.Pour avoir une idée claire de ce qu’on entend par fiscalité locale, il faut s’intéresser à ce qu’est un bon impôt local, aux différentes recettes fiscales locales, à la répartition des impôts entre les autorités nationales et infranationales et enfin aux obstacles rencontrés par autorités infranationales dans la gestion des recettes locales.

1.1. Un  « bon » impôt local et un panorama des recettes fiscales locales

Aux dires des théoriciens,  un « bon » impôt local présente trois caractéristiques : « il est facile à administrer au plan local, il s’applique aux résidents et il n’augmente pas la concurrence avec d’autres collectivités locales ou avec l’administration centrale » (Freire,Garzón, 2014, p.149). Bien que la Banque Mondiale fasse référence à ces critères, elle émet des réserves à cause des combinaisons d’impôts locaux et centraux. Bird confirme cette relativité puisque, pour lui, il n’y a pas de réponse définitive à la question de l’impôt le plus approprié pour les autorités infranationales. Le contexte, la trajectoire, l’équilibre entre les facteurs politiques, économiques et les intérêts sont autant d’éléments à prendre en considération (2010, p.23). Néanmoins, 4 principes devraient régir l’affectation des recettes pour les autorités infranationales: la suffisance des ressources propres pour le financement des services fournies, l’exclusivité de la charge des impôts infranationaux pour les résidents locaux, la responsabilité politique de toutes les autorités pour le financement des dépenses, la non-modification de l’attribution des ressources via les impôts infranationaux (Bird, 2010, p.21).

La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International recensent plusieurs recettes fiscales locales mais elles peuvent être décomposés suivant 3 catégories: impôt, taxe et redevance. Même si elles sont toutesperçues par voie d’autorité, elles présentent des différences notoires. En effet, lapremière est perçue sans contrepartie directe individualisable, le second est perçue à l’occasion de 4 évènements (service précis rendu à l’usager, octroi d’un régime juridique en faveur de certains particuliers, enrichissement pour certains particuliers et dépense spéciale causée à la collectivité locale par un individu), ladernière est, quant à elle, caractérisé par la corrélation entre le montant du prélèvement et la valeur du service rendu. Parmi les impôts, il y a l’impôt sur les terrains et/ou les biens immobiliers, l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les salaires. Parmi les taxes, il y a la taxe foncier, la taxe sur le tourisme, les hôtels, les restaurants et les loisirs, la taxe sur les ventes locales et/ou taxe sur la vente de produits locaux, la taxe sur les entreprises ou les services locaux, la taxe sur la consommation d’électricité, la taxe sur les véhicules autres qu’à moteur, les taxes d’accise, les taxes à la consommation, les taxes d’affaires, le droit de mutation des biens fonciers, les loyers perçus pour la location de terrains, d’immeubles, d’équipements, de machines et de véhicules, les excédents des entreprises commerciales locales, les intérêts perçus sur les dépôts bancaires et d’autres fonds, les péages des routes, des ponts. Enfin, parmi les redevances il y a les redevances pour les foires, les salons agricoles, les foires à bestiaux, les salons professionnels, les tournois et les autres manifestations publiques, les redevances pour la vente d’animaux sur les marchés aux bestiaux, les redevances pour la publicité, les redevances pour les marchés et loyers des emplacements de marchés, les redevances pour l’utilisation des stations de bus et des stations de taxis, les redevances sur des travaux publics ou des services d’utilité publique, tels que le ramassage des déchets, l’évacuation des eaux pluviales et des eaux usées, et la distribution d’eau, les redevances pour l’autorisation des plans de construction et de l’édification et la réédification des immeubles, les redevances pour la délivrance de licences aux entreprises et aux professionnels, les redevances pour la délivrance d’autres licences ou permis et amendes pour infractions, les redevances pour l’enregistrement et la délivrance de certificats de naissance, de mariage et de décès, les redevances pour les établissements d’enseignement ou de santé créés ou entretenus par la collectivité locale, les redevances pour d’autres services particuliers rendus par la collectivité locale.

1.2 La répartition des impôts entre les autorités nationales et infranationales

Les partisans de la théorie traditionnelle du fédéralisme fiscale préconisent une assiette fiscale très limitée pour les autorités infranationaux (les autorités régionales et locales). 3 règles sont donc de mise : les autorités infranationaux devraient, autant que possible, compter sur la taxation des gains des unités économiques mobiles telles que les ménages et les facteurs mobiles de production ; quand les impôts non liés aux gains sont requis, seules les autorités nationales devraient les imposer ; si des impôts non liés aux gains sont imposés par les échelons inférieurs, ils ne devraient être perçus que sur des assiettes fiscales relativement immobiles. Seules la taxe foncière et, dans une moindre mesure, les taxes sur les véhicules correspondent à ce critère.

Quant aux tenants du fédéralisme fiscal de seconde génération, ils s’en tiennent à 2 règles : d’une part la répartition des impôts devrait dépendre des responsabilités attribuées, d’autre part les autorités infranationaux devraient également contrôler le taux d’imposition effectif. Un certain nombre de raisons est invoqué pour justifier cette répartition : la capacité de collecter et d’administrer les impôts, la variété des assiettes fiscales disponibles pour les autorités infranationaux, l’éventuelle diminution des ressources pour les autorités nationales, la stabilité macroéconomique, les effets sur croissance économique ainsi que la responsabilité des autorités infranationales.

1.3 Les défis de la gestion des recettes locales

Diverses difficultés ayant trait à l’administration des recettes, à la mobilisation de celles-ci et à la politique menée ainsi que les solutions y afférentes sont évoquées aussi bien par la Banque Mondialeque par le Fonds Monétaire International.

Pour la première difficulté, comme la capacité à administrer les recettes est conditionnée par « l’identification et l’enregistrement des résidents passibles de paiements », « l’évaluation des obligations de paiement », « la facturation et la collecte » et « le recouvrement forcé des paiements », il faut venir à bout de chacun de ces problèmes en développant les capacités institutionnelles locales via des systèmes d’information de gestion. Selon la Banque Mondiale, il est également judicieux de recourir à « un système d’adressage des contribuables », « des systèmes informatiques intégrés » pour la gestion des comptes fiscaux des contribuables », des systèmes de facturation unifiés, au paiement par courrier, aux « bureaux d’assistance fiscale » et à « des systèmes séparés pour les petits et les gros contribuables ». L’appui financier et technique de la Banque Mondiale lors des réformes dans certains pays (Ghana, Sénégal, Niger) et certaines villes (Maputo, Kampala, Bogota) est mis en avant (Freire, Garzon, 2014).

Pour la seconde difficulté, on peut « relier la fiscalité aux services fournis » soit en liant « les coûts aux bénéficiaires », soit en associant « les dépenses aux redevances d’usagers ». Il est possible aussi d’améliorer l’efficacité de la collecte des recettes par l’intermédiaire des bases de données informatisées et des guichets uniques (Freire, Garzon, 2014). Tout en reconnaissant que les pays en voie de développement font face aux mêmes problèmes fiscaux, le Fonds Monétaire International fait état des différences. Les points communs sont notamment la difficulté à imposer certains secteurs (petites entreprises agricoles, libérales, publiques), la faiblesse des capacités administratives et du civisme fiscal, la faiblesse des administrations fiscales, la démoralisation des contribuables, la « gouvernance médiocre », la « forte dépendance à l’égard des recettes des entreprises multinationales », « des difficultés dans les relations avec les entreprises publiques », la faiblesse du recours aux institutions financières, les pressions exercées sur les recettes par la libéralisation du commerce et l’intégration régionale, l’intensification de la concurrence fiscale internationale, la difficulté à imposer les services internationaux. Par contre, la richesse en ressources naturelles, la géographie, les conflits antérieurs, les états successeurs et l’histoire sont autant de différences à ne pas négliger. En s’appuyant sur les éléments communs des stratégies proposées et sur la variété de celles-ci, le Fonds Monétaire Internationalprétend que ses conseils fiscaux prennent en considération les analogies et les différences mentionnées plus haut. Malgré tous ces problèmes, la relation entre les résultats des recettes (ratio recettes effectives/Produit Intérieur Brut) et une série de facteurs structurels, temporaires et institutionnels donne à penser qu’il est possible de mobiliser davantage de recettes, du moins si l’on en croit le Fonds Monétaire International Par ailleurs, de nombreux progrès ont été enregistrés dans les pays en voie de développement en matière de réforme de l’administration: l’abandon des approches impôt par impôt, l’adoption d’organigrammes fonctionnels, la création de services centraux, la gestion des impôts directs et indirects intérieurs, la création d’administrations des recettes, la segmentation des contribuables, de meilleurs processus de fonctionnement grâce aux systèmes informatiques, la simplification des législations fiscales et des principales dispositions administratives, l’adoption de codes de procédure fiscale et enfin l’harmonisation des impôts. D’ailleurs, Madagascar n’est pas en reste car des réformes ont été menées en 2008. Citons entre autres la réduction du nombre d’impôts (ramené de 28 à 14), l’harmonisation des impôts sur le revenu, la fusion en un taux d’imposition unique de 25 %, la suppression des droits d’accise sur certains produits, le taux de la taxe sur la valeur ajoutée porté de 18 à 20 %, l’augmentation du seuil de taxe sur la valeur ajoutée, l’annonce de la suppression du régime de zone franche pour les nouvelles entreprises exportatrices et enfin le maintien des droits acquis pour les entreprises existantes. Toutefois, des défis demeurent: le cout élevé du respect des obligations fiscales pour les contribuables, l’insuffisance, la mauvaise allocation des ressources ainsi que la faiblesse des compétences de niveau intermédiaire pour l’administration des recettes, la coordination entre les administrations fiscales et douanières intérieures. Pour relever ces défis, le Fonds Monétaire Internationalpréconise plusieurs solutions: la prise en considération des modalités d’application des textes, la consolidation des fondamentaux d’une bonne administration fiscale, l’adoption de stratégies claires pour les contribuables les plus récalcitrants, « l’administration routinière », des mesures institutionnelles et des processus limitant les occasions de rente de situation et enfin des moyens politiques, humains et techniques (Fonds Monétaire International, 2011).

Pour la dernière difficulté, les problèmes peuvent être résolus aussi bien au niveau national qu’au niveau local. Toutefois, comme les autorités locales n’ont pas d’emprise sur la politique nationale, elles doivent se résoudre à trouver des solutions au niveau local. Divers moyens d’action sont possibles: « un dispositif de recouvrement crédible », « des redevances d’usagers fixées à un niveau assurant la récupération des coûts de fonctionnement et d’entretien de la fourniture des services », « des systèmes de comptabilité des coûts de revient par service », « des redevances d’usagers abordables », « l’externalisation de la collecte des recettes» et « des partenariats public-privé » (Freire, Garzon, 2014).De plus, plusieurs facteurs font que la mise en place d’un régime fiscal dans les pays en voie de développement est une gageure: le secteur d’activité de la majorité des travailleurs, le manque de moyens d’instruction, de formation des employés, le manque de moyens financiers, la capacité des contribuables, le manque de données pour les services de la statistique, de l’impôt et l’inégalité de la répartition des revenus. Les politiques fiscales peuvent être sous l’angle macroéconomique (niveau et composition des recettes fiscales) et microéconomique (conception d’outils fiscaux particuliers).Tout en envisageant les solutions pour déterminer le niveau idéal des recettes fiscales, Tanzi et Zee émettent des réserves. En effet, le niveau d’imposition peut être lié aussi bien au niveau des dépenses publiques qu’au développement économique mais aucune de ces solutions n’est entièrement satisfaisante. En ce qui concerne la composition des recettes fiscales, l’impôt sur la consommation est comparé à l’impôt sur le revenu.  Certains préfèrent le premier au second à cause de la réduction de l’épargne du contribuable. Les réfutations de cet argument, à savoir « le rôle crucial de l’horizon de planification du contribuable et le coût de l’accumulation du capital humain et physique », viennent aussitôt relativiser cette idée. Tanzi et Zee concluent qu’« on peut difficilement formuler des recommandations définitives, en matière de politique normative, à partir des comparaisons internationales de la combinaison de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la consommation». Dans le même ordre d’idée, l’incidence de la réduction de l’impôt sur les importations sur l’impôt sur la consommation intérieure est abordée par les auteurs du dossier. Quant au choix du régime fiscal approprié, le cas de certains outils fiscaux (l’impôt sur le revenu des particuliers, l’impôt sur les sociétés, le taxe sur la valeur ajoutée, les droits d’accise et les taxes à l’importation, les encouragements fiscaux, les congés fiscaux, les crédits d’impôt et les déductions pour placements, les subventions à l’investissement, les encouragements fiscaux indirects et les mécanismes de déclenchement) est débattu. L’efficacité de certaines stratégies et les risques liés à d’autres sont passés en revue tout au long du développement (Tanzi, Zee, 2001).

Une fois la question de la fiscalité locale délimitée, nous allons passer à la seconde partie, à savoir les publications et les actions de la Banque Mondialeet du Fonds Monétaire Internationale en matière de civisme fiscal.

2. CIVISME FISCAL

Pour améliorer la politique fiscale, il faut avoir une idée claire de la fiscalité, que celle-ci soit nationale oulocale. C’est une condition nécessaire mais non suffisante. Encore faut-il savoir comment pousser les contribuables à accomplir volontairementleurs obligations fiscales ? On peut résoudre cette énigme en considérantles diverses solutions proposées par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire Internationale, en tirant des enseignements d’une expérience menée au Guatemala et en évaluant une administration fiscale dans le cadre du « Tax Administration Diagnostic Assessment Tool » (TADAT).

2.1 Le civisme fiscal, un problème aux multiples solutions

La comparaison des effets de certaines mesures a permis au Fonds Monétaire International de préconiser des solutions pour promouvoir le civisme fiscal. Si les unes se sont avérées bénéfiques, les autres ont compromis le civisme fiscal ou ont même eu des effets pervers.Au lieu des amnisties complètes, de l’exigence de certificat fiscal et des procédures abrégées, le Fonds Monétaire International recommande alors des « programmes limités d’amnistie » avec « de vigoureuses mesures d’exécution », l’exigence du paiement par voie bancaire en cas de paiement élevé et un « programme de routine prévoyant des interventions ciblées et réfléchies ». Parmi les possibilités pour les petites entreprises, le Fonds Monétaire International cite les programmes d’inscription, le suivi des abstentionnistes pour les déclarations, les services de sensibilisation et d’accueil des contribuables ainsi que les opérations de renseignement  (Département des finances publiques du Fonds Monétaire International, 2011, p.27).

2.2 L’expérience guatémaltèque en faveur du civisme fiscal 

Un article de la Banque Mondiale intitulé «Behavioral interventions in tax compliance.Evidence from Guatemala» présente les résultats d’une expérience menée au Guatemala. C’est un pays dont les recettes fiscales sont les plus faibles au monde et dont le taux d’évasion fiscale est élevé. Ce sont 43 387 contribuables (particuliers et entreprises) qui n’ont pas payés leurs impôts sur le revenu au cours de l’année 2013 qui ont fait l’objet de cette expérience. 12 397 individus n’ont reçu aucune lettre. 6 198 individus ont reçu la lettre utilisée par l’autorité fiscale guatémaltèque (la lettre était un simple rappel et ne contenait aucune information sur les modalités de la déclaration). Le reste des individus a, quant à lui, reçu une lettre qui utilisait un modèle comportemental.

Il y a 4 variantes pour la lettre avec un modèle comportemental. La première lance un appel à l’action (la déclaration est nécessaire maintenant), indique l’adresse du site où il faut déclarer l’impôt, informe les contribuables qu’ils peuvent payer en plusieurs versements et contient un message dissuasif (si vous ne déclarez pas, vous pouvez être audité et faire face à la procédure établie par la loi). A quelques exceptions près, le contenu des 3 autres variantes ressemble à celui de la première variante. La phrase suivante est ajoutée dans la deuxième: « Selon nos registres, 64,5% des Guatémaltèques ont déclaré à temps leurs impôts sur le revenu pour l’année 2013 à temps. Vous faites partie de la minorité des Guatémaltèques qui ne l’ont pas encore déclaré » tandis que la troisième variante stipule qu’« avant, nous avons considéré votre non-déclaration comme un oubli. Toutefois, si vous ne déclarez pas maintenant votre impôt sur le revenu, nous le considérerons comme un choix délibéré, vous pourrez donc être audité et pourrait faire face à la procédure établie par la loi ». Quant à la dernière variante, elle ne contient ni appel à l’action, ni message dissuasif. On peut y voir une image du drapeau guatémaltèque et cette phrase : « Vous êtes un citoyen guatémaltèque et le Guatemala a besoin de vous. Soyez un bon citoyen et soumettez la déclaration annuelle d’impôt sur le revenu de 2013 … Allez-vous soutenir votre pays? ».

Nous pouvons retenir de cette expérience que bien toutes les lettres ont augmenté le taux de déclaration, seulement 2 d’entre elles ont été les plus efficaces car, grâce à celles-ci, on a réussi à multiplier par 3 les recettes fiscales. Il s’agit d’une part de la lettre contenant le message dissuasif et qui stipule que la non-déclaration est un choix délibéré et d’autre part de la lettre faisant référence à la norme sociale (64,5% des contribuables qui ont déjà payé l’impôt). Si la lettre faisant référence à la norme sociale avait été envoyée à toute l’échantillon, on aurait généré 760 000 dollars de plus au bout de 11 semaines. Les impacts seraient les mêmes les 12 mois suivants. Ce type de lettre n’apporte donc pas seulement des recettes mais permet d’accroitre celles-ci.

2.3 Le civisme fiscal dans le cadre du TADAT

La promotion du respect volontaire des obligations fiscales est le troisième domaine d’analyse du « Tax Administration Diagnostic Assessment Tool » (TADAT). Ce programme d’évaluationdes grandes composantes du régime d’administration fiscale d’un pays et de son niveau de maturité par rapport aux bonnes pratiques internationales est supervisé entre autres par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire InternationalEn évaluant les forces et les faiblesses d’une administration fiscale, il se veut être une base de réflexion sur les objectifs des réformes et les stratégies de mise en œuvre. Comme les contribuables sont censés disposer des informations et des incitations nécessaires pour remplir spontanément leurs obligations à un coût raisonnable, 3 indicateurs sont utilisés pour l’évaluation de la promotion du civisme fiscal: la portée, l’actualité et l’accessibilité des informations, le temps de réponse aux demandes d’information des contribuables ainsi quele suivi de l’opinion des contribuables quant à la qualité des services. Les dimensions mesurées pour ces indicateurs sont « l’éventail d’informations offert aux contribuables pour leur expliquer, en termes clairs, leurs droits et obligations pour chaque impôt de base, le degré d’actualité des informations sur la loi et la politique administrative, la facilité avec laquelle les contribuables obtiennent des informations de l’administration fiscale, les délais de réponse aux demandes d’information des contribuables et des intermédiaires, l’ampleur des mesures prises pour réduire les coûts du civisme fiscal pour les contribuables, l’utilisation -et à quelle fréquence – de méthodes visant à obtenir un retour d’information des contribuables sur les normes des services offerts, la mesure dans laquelle les informations données par les contribuables sont prises en compte dans la conception des procédures administratives et des produits » (Secrétariat du TADAT, 2015, p.56). Chaque dimension fait l’objet d’une évaluationnotée selon une échelle à quatre niveaux ABCD, A représentant le niveau de performance le plus élevé et D le plus bas.La note globale pour chaque indicateur est basée sur les notes obtenues pour chacune des dimensions.

Madagascar a fait l’objet d’une évaluation TADAT du 8 au 20 juillet 2015. En ce qui concerne la promotion du civisme fiscal, la grande île a obtenu C aussi bien pour la portée, l’actualité et l’accessibilité des informations que pour le suivi de l’opinion des contribuables sur la qualité des services.Quant au temps de réponse aux demandes d’information des contribuables, le niveau de performance de l’administration fiscale malgache est D.Ces résultatsmitigés peuvent être expliquéspar plusieurs raisons. D’abord, certes des informations pour aider les contribuables à respecter leurs obligations sont disponibles mais l’usage des programmes d’éducation pour promouvoir le civisme fiscal et renforcer la confiance des contribuables en l’administration fiscale est assez limité. En général, les informations sur la loi et la politique administrative sont mises à jour. Malgré la diversité des canaux d’information disponibles, certains sont moins accessibles pour les Malgaches (internet, téléphone) tandis que d’autres sont sous-exploités (télévision, radio). Ensuite, même si diverses méthodes sont utilisées pour obtenir un retour d’information des contribuables sur la qualité des services de l’administration fiscale, les enquêtes de perception restent épisodiques. La prise en compte des informations venant des contribuables dans la conception des procédures administratives et des produits n’est pas aussi systématique. Enfin, non seulement la performance par rapport aux normes de prestation de service n’est pas publiée mais la Direction Générale des Impôts ne répond pas aussi à toutes les demandes des contribuables et des intermédiaires dans les 30 jours (Tuan Minh Le et al., 2015, p.9).

Conclusion

Le présent article rend compte d’une partie des actions et des publications de 2 institutions internationales en matière de fiscalité locale et de civisme fiscal. Son objectif est de synthétiser l’état des connaissances afin de montrer qu’il est possible d’en tirer des enseignements sans forcément prendre ces actions et publications pour parole d’évangile. D’une part, nous avons vu que même s’il y a quelques règles, définir le « bon » impôt local reste une gageure, qu’on on a l’embarras du choix en matière de recettes fiscales locales,  qu’il existe 2 théories sur la répartition des impôts entre les autorités nationales et infranationales, que des solutions existent pour que les autorités infranationales relèvent les défis de la gestion des recettes locales. D’autre part, nous avons constaté qu’en matière de civisme fiscale un ensemble d’actions est possible, que les lettres utilisées à bon escient ont été efficaces au Guatemala, que l’administration fiscale peut être évaluée sur la base de normes internationales dans le cadre du TADAT.

A présent, il est temps de se focaliser sur les apports de ces actions et publications pour les communes malgaches. Premièrement, l’intérêt de celles-ci réside dans le fait qu’on peut tirer des enseignements avec la réussite des uns et les échecs des autres. Par exemple, l’envoi d’une lettre avec un modèle comportemental fut une réussite au Guatemala. Même si on ne pourrait cibler qu’une partie des contribuables (car n’oublions pas que le taux d’alphabétisation dans la grande île est encore élevé), l’envoi d’une lettre avec un modèle comportemental spécifique pourrait améliorer le civisme fiscal des Malgaches. D’ailleurs, la commune urbaine d’Antananarivo envoie déjà un avis aux tananariviens pour les inciter à payer l’impôt foncier sur la propriété bâtie et sur les terrains mais le contenu de celui-ci est différent de la lettre envoyée aux Guatémaltèques. Seuls le montant à payer, les services compétents en matière de renseignement et de réclamation, les modes de paiement de l’impôt, son exigibilité et la majoration en cas de retard de paiement y sont mentionnés. On peut aussi apprendre de l’échec des certains pays afin de ne pas reproduire celles-ci.En effet, ce n’est qu’en prenant connaissance de tous les enjeux qu’on peut prendre une décision avisée. Une étude comparative dans les pays telles que la Indonésie, la Thaïlande et la Tunisie a notamment permis de constater que les taxes sur les carburants ne sont pas sans incidence sur la redistribution des revenus réelles pour les ménages et sur l’indice des prix pour les consommateurs. Deuxièmement, il n’y a rien de mieux dans la résolution d’un problème que d’en épingler la source. Or, le Fonds Monétaire International s’est intéressé aux raisons de la faiblesse du ratio des recettes fiscales (l’évolution de la politique fiscale, les crises politiques, les ralentissements économiques, les carences des services fiscaux et douaniers, le manque de civisme), aux causes de l’inefficacité du recouvrement de l’impôt (la dépendance aux impôts indirects plutôt qu’aux impôts directs, la faiblesse des impôts directs, la place prépondérante de la taxe sur la valeur ajoutée malgré la diminution de son efficacité) et enfin aux actions à entreprendre(« élargir l’assiette de l’impôt en limitant les exonérations fiscales, en améliorant l’administration fiscale », « étudier le potentiel des industries extractives et des hydrocarbures à générer des recettes»). Finalement, ces publications et actions ouvrent la voie à d’autres perspectives. Non seulement la matière imposable des impôts locaux peut être élargie aux salaires, aux automobiles et aux affaires mais il est aussi possible d’augmenter les recettes fiscales. A cet effet, il faut« une stabilité macroéconomique et une gouvernance solide », « de vastes consultations politiques et une stratégie de communication claire de grande ampleur » ainsi que l’adaptation des réformes aux institutions nationales, à la structure du gouvernement. Les expériences d’autres pays, comme la plupart des pays à faible revenu d’Afrique subsaharienne, les États-Unis (avec la réforme fiscale en 1986), la Nouvelle-Zélande (avec la réforme de la TVA en1984), les Pays-Bas (avec l’impôt sur le revenu des personnes physiques en 2001), le Danemark et le Bangladesh (avec le renforcement des capacités de l’administration fiscale) vont dans ce sens.

Pour terminer, force est d’admettre qu’il n’existe pas de solution miracle pour les problèmes des communes malgaches. Tout au plus peut-on, pour le moment,apporter une piste de réflexion. Le consentement à l’impôt pourrait être lié à la transparence. Et si les contribuables étaient plus enclins à s’acquitter de ce prélèvement obligatoire grâce à la redevabilité des communes?

Raharinirina Sedera

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