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” Sous l’impulsion d’une masse critique de leaders éthiques et de l’attente des citoyen,

les institutions publiques et privées clés de gouvernance sont à l’horizon 2030 positivement transformées

au service de l’intérêt général “.

Réflexions du Conseil en Ethique et Déontologie (CED) sur la prescription acquisitive sur les concessions titrées aux noms d’anciens colons.

Observation liminaire :

Suite à la lecture combinée des avant-projets de lois relatifs à la propriété privée titrée dont le devenir de la procédure de prescription acquisitive d’une part, et d’autre part au regard des difficultés multiples auxquelles les juges doivent faire face dans le règlement des procédures de prescription acquisitive sur les propriétés titrées aux noms d’anciens colons, les membres du CED ont estimé nécessaire de partager avec les magistrats leurs réflexions sur la prescription acquisitive sur les concessions titrées aux noms d’anciens colons et sur la problématique de l’accaparement des terres.

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Pour les malgaches, la terre est un bien sacré ; elle nourrit les vivants et entoure les morts.  Ainsi chaque malgache est relié à sa terre par de solides racines indéracinables. Celui qui n’a pas de racines (tsy manana fototra) est qualifié de « tsy misy fotony » et ne peut donc prétendre à une considération quelconque. Un lien très fort unit donc les malgaches à leur terre. La terre les rattache à leurs ancêtres, d’où la notion de tanindrazana « terre des ancêtres ».

On comprend alors le désespoir de la population locale lorsque en 1896 l’Etat colonial, en introduisant à Madagascar la loi foncière « Act Torrens » a instauré la présomption de domanialité ;  par ce système, l’Etat colonial devenait propriétaire de toute terre non titrée (c’est-à-dire de tout Madagascar à ce moment-là), et avait borné et immatriculé dans le livre foncier (mis en place pour ce faire) de multiples concessions qui ont été alors attribuées aux colons lesquels recevaient un titre foncier en tant que propriétaire.

Ce système a conduit à un véritable accaparement  de terres. En effet accaparement de terres signifie « emprise », prise de contrôle et mainmise sur des terres à fin de bénéficier des avantages économiques liés à l’utilisation des terres par des personnes étrangères aux propriétaires ou occupants originaires.

Cette pratique se traduit en fin décompte par l’expulsion des paysans et des populations locales de leurs terres.

Après l’Indépendance,  l’espoir des populations locales de pouvoir, enfin récupérer leurs terres a été de courte durée : elles se sont heurtées au caractère définitif et intangible du titre foncier. La seule possibilité de récupérer la terre est la procédure de la prescription acquisitive.

Beaucoup ont pu redevenir propriétaires par la procédure de la prescription acquisitive

Beaucoup d’autres malheureusement se sont heurtés à l’apparition soudaine de prétendus héritiers des colons ou de mandataires de sociétés françaises inscrits au titre. L’inscription au titre des mutations formulées par ces derniers, devraient en principe bloquer la procédure de prescription acquisitive. En conséquence les populations locales se retrouvent une deuxième fois spoliées de leurs droits et sont alors considérées comme des squatters susceptibles d’être expulsées malgré une longue occupation de plusieurs années.

Le 14 décembre 1960, le retour à l’indépendance des pays et peuples coloniaux a été déclaré lors de l’Assemblée générale des Nations-Unies, à l’issue de laquelle la résolution 1514 est trouvée. Cette déclaration proclame solennellement la nécessité de mettre fin dans les plus brefs délais et de manière inconditionnelle à toutes formes et manifestations de colonialisme. Lors de la colonisation, bon nombre de parcelles de terre ont été inscrites au nom de colons dans le livre foncier. A la fin de cette période, les Malagasy ont repris leurs terres, notamment à Analavory, Mampikony, Mananjary, Morondava et Ambanja entre autres. Malheureusement la loi en vigueur prévoit que seule la personne inscrite dans le livre est présumée propriétaire. Dans ce cas-là, les occupants traditionnels, c’est-à-dire la population locale, ont été taxés de squatteurs puisque les descendants des colons continuent de revendiquer les terres accaparées par leurs ancêtres. Or, d’après la résolution 1514 sus citée, cette situation ne devrait plus survenir, et les populations locales concernées doivent pouvoir disposer librement de leurs terres. Ainsi, si les populations locales sont qualifiées de squatteurs c’est uniquement parce que les descendants des colons continuent, alors qu’ils n’ont plus le droit, de revendiquer des terres accaparées par leurs ancêtres. De fait, il y a toujours une forme déguisée de colonisation, ce qui fragilise une fois de plus l’indépendance de Madagascar et  surtout un moyen déguisé de perpétuer la colonisation ce qui est contraire à la résolution 1514 de l’ONU.

Enfin il n’est pas sans intérêt de relever qu’en fait l’action des supposés héritiers des colons ou des sociétés françaises inscrits aux titres peut être considéré comme un moyen d’éluder la loi sur l’interdiction aux étrangers d’acquérir des terres à Madagascar.

En conséquence l’intervention de tous héritiers ou ayants cause des anciens colons pour essayer de récupérer une propriété foncière devrait être qualifiée d’irrecevable sur la base de la résolution 1514 en date du 14 décembre 1960 de l’ONU.

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Enfin, à titre d’information il est à noter que « l’accaparement des terres » actuellement fait surtout référence aux investissements à grande échelle effectuées par les étrangers et que le phénomène est déjà considéré comme un crime contre l’humanité. C’est le Procureur Général de la Cour Pénale Internationale (CPI) Fatou Bémouda qui l’a annoncé le 09 septembre 2016 dans un document de politique générale sur « la sélection et la hiérarchisation des affaires ». Ce Procureur Général a déclaré : « que la destruction de l’environnement et les accaparements de terres seront désormais traités comme des crimes contre l’humanité.»

Il s’agit d’une position de principe pour condamner à postériori les accaparements effectués par les colons en leur temps et pour essayer de réparer une injustice flagrante.

Les membres du CED :

Mme Lala RATSIHAROVALA, coordinatrice CED,

Mme Nelly RAKOTOBE, CED Antananarivo,

Mme Aimée RAVELOARISOA, CED Antananarivo,

Mme Victoire ANDRIATAHIANA, CED Toamasina,

Mme Blandine RANDRIAMAROLAFY, CED Fianarantsoa,

Mr Lucien RABARIJOHN, CED Mahajanga.